Vous assistez aujourd’hui à un débat récurrent qui divise la classe politique française : faut-il taxer davantage les plus fortunés pour réduire les inégalités ? Cette question, qui ressurgit à chaque élection, cache une réalité économique bien plus complexe. Nous défendons ici une thèse contraire aux idées reçues : la surtaxation des hauts revenus constitue un piège économique qui appauvrit l’ensemble de la société française. Cette approche, loin de créer plus de justice sociale, génère des effets pervers qui touchent finalement les classes moyennes et fragilisent notre compétitivité internationale.
La France, déjà championne mondiale de la taxation des hauts revenus
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la France détient le record européen de pression fiscale avec 54% de ponction moyenne selon l’institut Molinari. Pour offrir 100 euros de pouvoir d’achat réel à un salarié, une entreprise française doit lui consacrer 218 euros, dont 118 euros partent en impôts et cotisations diverses. Cette situation place notre pays largement devant la Belgique (53,5%) et l’Autriche (52,9%), et très loin du Portugal (44,5%) ou des Pays-Bas (44,9%).
Concernant spécifiquement les hauts revenus, la France applique déjà des taux marginaux parmi les plus élevés au monde. Le taux marginal d’imposition atteint 48% pour les revenus supérieurs à 250 000 euros et 49% au-delà de 500 000 euros. Cette contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), initialement créée comme mesure temporaire en 2011 sous Nicolas Sarkozy, perdure depuis 13 ans sans limite de temps.
Cette réalité contredit le discours selon lequel les riches ne paieraient pas assez d’impôts. Notre système fiscal impose déjà les plus fortunés à des niveaux qui dépassent largement la moyenne internationale, questionnant l’efficacité économique de nouvelles hausses.
L’illusion redistributive : quand surtaxer rapporte moins
La courbe de Laffer démontre qu’au-delà d’un certain seuil, l’augmentation des taux d’imposition provoque une baisse des recettes fiscales. Cette théorie, loin d’être abstraite, trouve des applications concrètes dans l’histoire économique française et internationale. L’idée que « trop d’impôt tue l’impôt » remonte aux écrits d’Adam Smith et de Jean-Baptiste Say, qui observait qu' »un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte ».
Les exemples historiques abondent pour illustrer ce phénomène. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher fit passer la tranche marginale de l’impôt sur le revenu de 83% à 40%, ce qui entraîna immédiatement une hausse des recettes fiscales de 1,2 milliard de livres en 1985-1986. Aux États-Unis, les réductions d’impôt de 2003 ont paradoxalement fait augmenter les recettes fiscales de 8% puis 9% les années suivantes, atteignant leur second point le plus haut de l’histoire.
Cette dynamique s’explique par deux mécanismes : l’effet désincitatif sur l’offre de travail et l’incitation à l’évasion fiscale. Quand les prélèvements deviennent prohibitifs, les agents économiques réduisent leur activité ou cherchent des moyens légaux d’optimisation, réduisant mécaniquement l’assiette fiscale.
Exode fiscal : la fuite des talents et des capitaux
L’exode fiscal constitue une réalité mesurable, bien que souvent minimisée par ses détracteurs. En 2012, 587 contribuables redevables de l’ISF ont quitté la France sur 290 000, soit 0,2% du total. Ce pourcentage, apparemment faible, masque l’impact économique disproportionné de ces départs : ces contribuables représentent une part significative des recettes fiscales et des investissements.
Cette fuite des capitaux s’accompagne d’une perte de substance économique. Selon une étude de 2007, la fuite légale des capitaux à l’étranger depuis la création de l’ISF en 1988 représentait environ 200 milliards d’euros et une perte de recettes fiscales de 7 milliards d’euros par an. Ces montants dépassent largement ce que l’impôt rapportait effectivement.
Le tableau suivant illustre les disparités fiscales européennes qui alimentent cette concurrence :
Pays | Taux marginal maximum | Impôt sur la fortune | Statut |
---|---|---|---|
France | 49% | IFI (immobilier uniquement) | Maintenu partiellement |
Allemagne | 45% | Non | Supprimé en 1997 |
Royaume-Uni | 45% | Non | Jamais existé |
Suisse | 42% | Oui (cantonal) | Taux très faibles |
Luxembourg | 42% | Non | Supprimé en 2006 |
Impact destructeur sur l’investissement et l’entrepreneuriat
La fiscalité excessive des entreprises et de leurs actionnaires produit des effets dévastateurs sur l’investissement productif. En France, la double imposition peut facilement s’élever à 60% des plus-values brutes détenues par un investisseur dans une entreprise, soit le taux le plus élevé de tous les pays de l’OCDE. Cette situation décourage l’investissement en capital et pousse les sociétés vers un financement par l’endettement plutôt que par les fonds propres.
Les conséquences se mesurent dans les statistiques économiques : les recettes de l’impôt sur les sociétés ont chuté de 48% pendant la première moitié de 2015. Cette baisse, bien supérieure aux crédits d’impôt accordés au titre du CICE, révèle un rétrécissement de l’assiette fiscale lié à la fuite des investissements.
L’impact sur l’entrepreneuriat s’avère particulièrement préoccupant. Les nouvelles entreprises, principales créatrices d’emplois, dépendent des capitaux apportés par les investisseurs privés. Quand ces derniers fuient vers des juridictions plus favorables, l’écosystème entrepreneurial français se trouve privé de ses sources de financement, compromettant l’innovation et la création d’emplois futurs.
Classes moyennes : les vraies victimes de la guerre aux riches
L’exode des plus fortunés crée un cercle vicieux qui pénalise mécaniquement les classes moyennes. Quand les gros contribuables quittent le territoire, leurs recettes fiscales disparaissent, obligeant l’État à reporter cette charge sur les contribuables restants. Cette dynamique explique pourquoi les classes moyennes françaises subissent une pression fiscale croissante malgré les discours sur la justice sociale.
Le phénomène s’illustre par la courbe en « U » de la redistribution française. Les plus modestes bénéficient des prestations sociales, les plus aisés optimisent leur fiscalité grâce aux niches fiscales, tandis que les classes moyennes se trouvent à la base du « U », supportant l’essentiel de l’effort fiscal sans bénéficier des avantages des deux extrêmes.
Cette situation génère un sentiment d’injustice croissant chez les contributeurs des classes moyennes, qui ont l’impression de financer un système dont ils ne tirent pas les bénéfices. Nous observons ainsi que la politique de taxation des riches produit l’effet inverse de celui recherché : au lieu de réduire les inégalités, elle les déplace et les concentre sur les classes moyennes.
Délocalisation des sièges sociaux : un désastre économique programmé
La fuite des sièges sociaux constitue une menace grandissante pour l’économie française. L’annonce de TotalEnergies en avril 2024 concernant la possible délocalisation de sa cotation principale vers New York illustre cette tendance inquiétante. Cette évolution ne se limite pas aux symboles : elle emporte avec elle des emplois qualifiés, des centres de décision et des recettes fiscales substantielles.
Les perspectives s’avèrent préoccupantes : si la dynamique actuelle se poursuit, les administrateurs français deviendront minoritaires dans les conseils d’administration des grandes entreprises françaises d’ici 2035. Cette évolution transformerait nos champions nationaux en « entreprises de nulle part », guidées par des impératifs financiers globaux plutôt que par l’intérêt national.
L’impact économique de ces délocalisations dépasse largement la dimension symbolique. Chaque siège social qui s’expatrie emporte avec lui des emplois de direction, des fonctions support, des centres de recherche et développement, ainsi que les impôts correspondants. Cette hémorragie affaiblit progressivement le tissu économique français et réduit notre capacité d’influence sur les décisions stratégiques de nos propres entreprises.
Concurrence fiscale internationale : une réalité incontournable
La concurrence fiscale entre nations constitue une réalité économique incontournable que les tentatives d’harmonisation européenne ne peuvent supprimer. Cette concurrence, loin d’être néfaste, stimule l’efficacité des systèmes fiscaux en obligeant les États à optimiser leur rapport qualité-prix en matière de services publics.
Les projets d’harmonisation fiscale européenne, notamment l’instauration d’un taux d’imposition minimum mondial, visent à limiter cette concurrence bénéfique. Ces initiatives, présentées comme des mesures de justice fiscale, constituent en réalité des tentatives de cartel fiscal qui privent les contribuables de leur liberté de choix et les États de leur souveraineté fiscale.
L’exemple des pays baltes et de la Russie, qui ont adopté une flat tax inférieure à 35% et vu leur économie décoller, démontre les bénéfices de la concurrence fiscale. Cette dynamique pousse les pays vers plus d’efficacité et de simplicité fiscale, bénéficiant finalement aux contribuables et à l’économie dans son ensemble.
Alternative libérale : flat tax et suppression de l’ISF
Les solutions libérales offrent une alternative crédible à la spirale de surtaxation. L’instauration d’une flat tax, combinée à la suppression définitive de l’impôt sur la fortune et des droits de succession, permettrait de relancer l’attractivité française tout en simplifiant radicalement le système fiscal.
L’expérience de la suppression partielle de l’ISF en 2018 commence à produire ses premiers effets positifs. Cette réforme, qui visait à réorienter l’épargne vers les investissements productifs, montre la voie vers une fiscalité plus efficace économiquement. La transformation de l’ISF en IFI (impôt sur la fortune immobilière) et l’instauration du prélèvement forfaitaire unique à 30% sur les revenus du capital constituent des premiers pas encourageants.
Les pays ayant supprimé leur impôt sur la fortune illustrent les bénéfices de cette approche :
- Allemagne (1997) : Suppression totale, croissance économique renforcée et maintien des investisseurs
- Suède (2007) : Abolition « pour favoriser les investissements et l’emploi », résultats économiques positifs
- Danemark (1997) : Suppression accompagnée d’une amélioration de la compétitivité fiscale
- Pays-Bas (2001) : Remplacement par un système plus efficace de taxation des revenus du capital
- Autriche (1994) : Suppression précoce, maintien d’une fiscalité attractive pour les investisseurs
Ces exemples démontrent qu’une fiscalité plus libérale ne conduit pas à l’effondrement des recettes publiques, mais stimule au contraire la croissance économique et l’emploi, bénéficiant à l’ensemble de la société.